13.05.2020 (deuxième jour après le dé-confinement)
Je m’étais déjà en quelque sorte auto-confinée pour écrire, il y a plusieurs mois (depuis juillet 2019). Contrairement à celles et ceux qui ont trouvé là l’occasion de démarrer un « journal du confinement », pour moi, cette période n’a pas été très propice à la concentration.
L’évolution de la pandémie, les mauvaises nouvelles en cascade à l’échelle nationale et internationale, le décompte glaçant des disparu.es. Le bruit assourdissant dans les médias, sur les réseaux. Les mesures absurdes, les manques terribles dans les décisions politiques, les mensonges d’État... Les soignant.es des hôpitaux et des EHPAD dépassé.es, les employé.es des secteurs essentiels en première ligne, les difficultés financières des petits commerces, la vague de chômage en cours et à venir... Les parents en télétravail surmenés, les enfants en décrochage scolaire, les violences conjugales ou parentales exacerbées, la détresse des plus précaires… La conscience que le monde, sous mes yeux, était en train de changer.
Tout ça a généré chez moi pas mal d’anxiété. Je me suis efforcée de trouver de la place pour écrire quand-même. J’y suis parvenue un peu.
En décembre dernier, avec mon ami, nous avons quitté Marseille pour nous installer dans un petit village de la Drôme, proche de la campagne. Nous avions très clairement en tête qu’il fallait quitter la ville avant que quelque chose ne tourne mal. Nous nous sommes félicités de cette décision, prise juste à temps.
Nous avons donc passé ce confinement dans notre maison, encore en travaux mais confortable, avec une petite cour pour faire des siestes et jardiner. On ne roule pas sur l’or, on mène une vie simple, sobre, mais on sait qu'on est déjà très privilégiés. Si le monde n'était pas si sombre, on pourrait dire qu'on est heureux. J’ai souvent tenté d’imaginer comment ça se serait passé si nous étions restés dans notre petit appartement du 3ème arrondissement de Marseille. J’ai pris quelques nouvelles de mes ami.es là-bas. Il paraît que l’air était plus respirable. J’aurai bien aimé voir ça, Marseille sans voiture.
Ça peut paraître un peu trivial, mais mon premier réconfort pendant le confinement a été de voir les commerçant.es du marché de mon village fidèles à leurs postes. Conscient.es de leur engagement auprès des producteur.trices locaux et de leur clientèle, assumant leur mission de manière très responsable, respectant le mieux possible les mesures de sécurité sanitaire. Ouf, je n’étais pas obligée de faire toutes mes courses au supermarché.
Et puis il y a eu, partout en France, un si beau déferlement de solidarité. Fabrication de masques, dons aux hôpitaux, distribution de nourriture, gardes d’enfants, aides aux personnes âgées… Beaucoup de gens se sont mobilisés pour répondre aux besoins urgents des plus démuni.es. Il faut bien le relever, il ne faut pas l'oublier, il faut l’inscrire dans la pierre.
Bien sûr j’étais apaisée de savoir que la roue du productivisme, de la grande distribution et du consumérisme tournait au ralenti, que les avions, les bateaux et les voitures avaient stoppé leurs courses folles, laissant un peu de répit à la nature. Un apaisement très relatif, car je savais que cette pause n’aurait que très peu d’impact et qu’elle ne durerait pas.
Et forcément, j’étais contente pour celles et ceux qui retrouvaient pendant ce confinement un peu de calme, des moments partagés en famille, un semblant de vie décente loin de leurs « bullshit jobs »… L’occasion de réfléchir aussi, de sortir la tête du guidon, de réaliser que quelque chose ne tourne pas rond, et peut-être de changer. J’ai nourri quelques espoirs.
Maintenant le confinement est fini.
Je suis sortie faire une balade hier après midi. Dans le parc en face de chez moi, il y avait des enfants qui jouaient, des ados qui traînaient, et des parties de pétanques. Ce lien social retrouvé m’a réchauffée. Certaines personnes portaient des masques, respectaient les distances, d’autres n'en avaient rien à faire. Ça m’a mise mal à l’aise. Les milliers de voitures qui avaient déserté la nationale étaient à nouveau là. J’ai déchanté. La grande roue a recommencé à tourner. Je me suis éloignée du village, je suis allée me perdre un peu dans les grandes prairies de la plaine, vouées à disparaître elles aussi, un jour ou l'autre, sous l’étalement urbain.
Je ne sais pas si j’ai bien ou mal vécu ce confinement. C’était sûrement nécessaire compte tenu de la situation sanitaire, mais à bien des égards, ce n’était pas souhaitable, pas comme ça... S’il y a eu des aspects positifs, je préfère attendre de voir quels changements concrets ils vont provoquer avant de me prononcer.
Ce que je sais, c’est que confinée ou pas, je me sens toujours un peu enfermée dans ce monde que je ne comprend pas, coincée entre un système suicidaire et un dénis majoritaire. Ce que je sais, c’est que le cauchemar n’est pas terminé, et que la bataille pour préserver la beauté de ce monde ne fait que commencer.